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UNE BIOLOGIE ETHIQUE CONTRE UNE BIOLOGIE FINANCIERE

Nous vous proposons de lire ici une tribune libre écrite par l'un des membres du SJBM.

 

 

 

Bas les masques

 

            Le projet de loi récemment mis en ligne par le SJBM (et que celui-ci a, grâce à la manifestation du 30 septembre et les négociations engagées alors, réussi à repousser)  me semble être une clarification sur les intentions réelles du gouvernement. Il nous indique enfin ce vers quoi nos gouvernants tendent de façon claire, qui sont nos ennemis dans la lutte qui s'engage et quelle aide nous pouvons attendre du gouvernement (quelque soit le bord politique).

Le gouvernement (pour se mettre en conformité avec les directives Européennes d'inspiration libérale) a décidé d'ouvrir largement le capital des laboratoires de biologie aux investisseurs financiers, c'est aujourd'hui parfaitement clair dans ce projet. La faiblesse de l'argumentaire pour expliquer ces décisions témoigne de la puissance de lobbying des financiers, du peu d'éthique des cabinets ministériels, de l'incohérence des politique qui déclaraient il n'y a pas si longtemps que l’ennemi était la finance (F. Hollande), qu'ils « aiment l'entreprise » (M. Valls), alors que ce projet propose de faire disparaître 50% des PME que sont nos laboratoires au profit des financiers. Où est l'arnaque ? Qui sont les tartuffes ?

Comment ne pas constater une coalition de facto entre ces trois acteurs : financiers, haute administration et politiques, ne pas soupçonner un conflit d’intérêt, ou pire imaginer la corruption des uns par les autres.

Prétendre que laisser un seul financier détenir 49% des parts d'un groupe de biologie (qui plus est avec les mécanismes de démembrement de parts sociales, et les clauses de LBO de type drag along et tag along), alors que plusieurs  biologistes (1 par site) se partagent 51% des parts, « ce n'est pas de nature à remettre en cause l'indépendance des professionnels de santé », c'est se moquer du monde. Ouvertement.

 

Il est temps me semble t-il de clairement se démarquer d'une biologie financière dont l'unique objectif est le profit à court terme, en mettant en avant une biologie éthique faite exclusivement par des biologistes à l'écoute des attentes de leur patients, soucieuse de participer aux économies de santé en évitant en particulier le gaspillage (on peut imaginer un rôle du biologiste pour intervenir comme il me semble que l'avait proposé le SJBM sur le principe de « juste prescription »), engagée dans un véritable processus d'amélioration constante de la qualité réelle des soins, exigeante vis à vis de ses collaborateurs, mais également capable de reconnaître et de récompenser leurs dévouement à leur juste valeur. Il n'y a pas de honte à recevoir une rémunération à la hauteur des années d'études (et de privation) et de l'expertise.

 

 

Des raisons d'espérer ... :

 

            L'annonce de la venue de financiers sur le terrain de la biologie, si elle est à déplorer, doit-t-elle cependant nous effrayer comme je le constate au travers des discutions, et des réactions sur le site du SJBM ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord répondre à une autre question:

 

Qui est le plus compétent pour faire de la biologie ?

 

si votre réponse c'est : « un financier » alors il y a matière à paniquer. Mais si comme moi, vous pensez que les biologistes dans leur grande majorité sont les plus compétents, que nous l'avons prouvé dans le passé, que nous le prouvons au quotidien dans nos laboratoires, alors l'inquiétude est à relativiser.

 

En effet, nos laboratoires ont toujours été prospères, c'est même ce que nous a reproché la CPAM et ce qui a attiré initialement les financiers (des sociétés françaises rentables ça n'est pas si fréquent). Néanmoins, nous sommes conscients de la nécessité de faire des économies de santé, et comme le reconnaît la cour des comptes nous avons fait l'effort de limiter les dépenses de biologie de façon extrêmement dure, et nous avons tenu l'objectif qui nous avait été fixé, tout le monde ne peut pas en dire autant …

 

Nos patients chaque fois qu'ils ont été interrogés reconnaissent notre compétence et notre éthique et déclarent nous faire confiance, leur opinion est bien moins bonne en ce qui concerne par exemple... la finance !

 

Cas unique en Europe, nous sommes en chemin vers une accréditation totale de nos laboratoires, ce qui nous pose des problèmes financiers, des problèmes de formation et d'adaptation à la démarche qualité, mais nous le constatons : l'accréditation ne fait que formaliser le souci d'un travail de qualité que nous avions déjà dans notre grande majorité intégré à nos pratiques (il est vrai d'une façon probablement plus souple, plus pragmatique, et plus fonctionnelle, mais c'est un autre débat).

 

D'autre part, nous craignons que les financiers ne s'emparent de la biologie, mais pour l'instant force est de constater qu'une grande partie de la biologie française est encore entre les mains de biologistes ou de groupements de biologie indépendants qui refusent clairement de faire entrer des financiers à leur capital (je travaille dans l'un d'eux et il en existe de nombreux autres).

 

Dans le combat sans merci qu'il va falloir livrer contre les financiers, nous biologistes devons nous rappeler avec fierté que nous sommes les plus qualifiés pour diriger nos laboratoires, que nous en avons les moyens, et que nous détenons encore une part importante de la biologie française. Il n'y a donc théoriquement aucune raison valable que nous perdions cette lutte.

 

 

...et des raisons de désespérer :

 

Alors pourquoi sommes nous si inquiets quand à notre avenir ?

 

Probablement, parce que comme 90% de nos concitoyens nous cédons au pessimisme ambiant.

 

Également, parce que nous croyons encore que de sombres conseillés ministériels ou même des ministres ont encore le pouvoir d'imposer leur vision au citoyens. La réalité quotidienne nous prouve que les rêves de quelques énarques de faire passer des lois ultralibérales ne sont pas si simples à faire passer auprès de nos concitoyens et les financiers eux-même ont bien compris qu'il n'en était rien, et réévaluent très nettement à la baisse leurs rêves de machines à cash dans le domaine de la Santé Française en général, et de la biologie médicale en particulier.

Cet échec des financiers est-il en partie lié à l'action efficace et déterminée de notre génération à laquelle le SJBM a apporté les outils permettant de se fédérer. Je le crois sincèrement.

 

Enfin et surtout, parce que nous savons que tous unis nous avons toutes les chances de pouvoir refuser l'entrée massive des financiers, mais que nous savons également que la solidarité entre biologistes médicaux (de toutes catégories) n'est pas notre fort, et c'est bien là le problème !!

 

Il est faux de dire que les financiers vont s'emparer de la biologie. Non il ne s'en emparent pas, il l'achètent, et c'est donc qu'il y a des biologistes pour leur vendre.

De même, les financiers ne font pas de biologie, il n'en ont pas le droit, c'est bien parce que des biologistes acceptent de travailler pour eux.

 

Il nous faut donc inventer une relation plus solidaire entre biologistes, entre les différentes générations, entre les différents modes d'exercice... Une relation plus fraternelle qui fonctionne pour tous sur un mode gagnant-gagnant dans le but d'exclure les fonds spéculatifs de l'équation.

 

 

L'art de la guerre :

 

C'est bien une guerre qu'il nous faut mener contre la financiarisation de la biologie, il ne céderont pas facilement. Et cette guerre doit être menée en respectant un certain nombres de règles simples de solidarité entre nous biologistes :

 

            1- Nous devons pouvoir faire la différence entre un groupe de biologie indépendant et un groupe détenu même partiellement par des financiers. Pour cela les syndicats de biologistes qui défendent une biologie indépendante doivent établir et publier sur leur site internet la liste des groupes de biologie qui refusent de laisser rentrer à leur capital des financiers. Je sais pour en avoir discuter à l'occasion de l'écriture de cet article avec le Président du SJBM que c'est un projet que notre syndicat porte depuis des années, et qu'il est très proche de la concrétisation grâce au travail impressionnant de membres du SJBM. Aux autres syndicats d'apporter maintenant leur concours.

 

            2- Les biologistes qui vendent leur laboratoire doivent systématiquement privilégier  les biologistes indépendants par rapport à des financiers. Il doivent vendre à un prix raisonnable (qui permette un rentabilité future) à un biologiste. Au contraire leur prix doit être en rapport avec les capacités d'investissement des financiers : démesuré!;)

 

            3- Les biologistes doivent préférentiellement travailler lorsqu'ils en ont le choix pour des biologistes indépendants. Lorsqu'ils travaillent pour un groupe à capitaux financiers, ils doivent refuser de le faire avec un statut de TNS mais demander à exercer exclusivement en tant que salarié. Le cas échéant il doivent pouvoir compter sur les syndicats de biologistes pour dénoncer un statut de TNS contraint et illégal (c'est une fraude à l'URSSAF).

 

            4- Les groupement de biologistes indépendants doivent collectivement ouvrir leur capital au biologistes qui travaillent dans leur structure, et ce de façon significative. Ceci les rendra plus attractifs pour de nouveaux biologistes et leur permettra de financer de nouvelles acquisitions. Je ne développe pas plus les avantages gagnant-gagnant pour un laboratoire de favoriser l'association des nouveaux entrants : un mail récent du bureau du SJBM les liste avec exactitude.

 

Le respect de ces règles implique une discipline et un vrai courage de la part de chacun, mais c'est à ce prix que nous pourrons maintenir une biologie indépendante. Ceux qui ne respecterons pas ces quelques règles doivent être parfaitement conscients qu'ils auront activement participé à la financiarisation de la biologie, et il ne pourront plus en rejeter la responsabilité sur le gouvernement ou les financiers, c'est trop facile. Chacun de nous a une responsabilité à assumer. Changer le monde commence par se changer soi-même !

 

 

Des propositions pour organiser des groupes de biologie indépendants :

 

Les propositions que je formule ici sont le fruit d'une expérience de bientôt 10 ans dans différents groupes de biologie. Ma réflexion avec d'autres, a porté sur les moyens d'augmenter l'attractivité d'un laboratoire afin d'en augmenter le chiffre d'affaire dans un jeu à somme nulle, et d'ainsi compenser une baisse tarifaire à laquelle nous sommes confrontés depuis plusieurs années et le seront probablement encore à l'avenir. On peut retourner le problème dans tous les sens, on arrive toujours à la même réponse : pour augmenter le chiffre d'affaire, il faut répondre à l'attente de ses patients, et l'implication sur tous les plans du biologiste médical est la clef de voûte du respect de cette attitude de la part de toute son équipe : il donne l'exemple, il encourage motive et entraîne derrière lui, il veille aux dérives, les sanctionne si nécessaire, félicite et rétribue lorsque c'est mérité. Il faut donc l'impliquer et lui donner une vrai marge d'autonomie. Il faut lui rendre la responsabilité de chef d'entreprise qui était la sienne et revenir à l'essence de notre choix d'une profession libérale. Le biologiste, c'est le patron, dans le sens noble du terme !

 

Je propose donc :

 

            1- Que le biologiste qui intègre un groupe indépendant comme TNS 1 part, ait une période « probatoire » d'une année pour s'assurer de ses compétences de son implication de sa capacité d'intégration. A l’issue de cette période 4 options possibles : Il ne correspond pas à la personne recherchée et il quitte le groupe. Ses compétences sont reconnues mais son implication n'est pas suffisante et il lui est alors proposé un poste de directeur adjoint salarié. Un doute persiste et on lui propose de renouveler la période probatoire d'une année supplémentaire, maximum. Il correspond aux critères recherchés et intègre pleinement la structure comme associé. C'est une version plus détaillée de la proposition faite par notre syndicat à l'occasion d'un amendement il y a 3 ans.

 

            2- Un biologiste associé se voit systématiquement proposer un nombre de parts de la société correspondant au minimum à 100% du chiffre d'affaire du site de laboratoire qu'il va diriger. Lorsqu'il quitte la structure ses parts lui seront rachetées également à 100% du nouveau chiffre d'affaire. C'est le moyen de permettre au biologiste de se constituer un capital, et de l'impliquer dans la bonne marche du laboratoire qu'il dirige. Si son laboratoire gagne suffisamment d'activité il accroît son capital, à l'inverse s'il perd de l'activité ou qu'il ne l'augmente pas suffisamment, son capitale stagne ou s'effrite. Par ailleurs, cet apport de capital permet au groupe de biologie de financer de nouvelles acquisitions.

 

            3- Le biologiste associé perçoit une rémunération fixe correspondant à son activité de directeur gérant (rémunération brute annuelle identique pour tous les biologistes de la structure), et une rémunération variable lui permettant de rembourser son emprunt et d'assumer les frais que cela engendre (intérêts d'emprunts, impôts...). Ce salaire variable du biologiste sera lui indexé sur le résultat après impôts réellement encaissé en banque par le laboratoire qu'il dirige. L’intérêt est ici d'impliquer le biologiste non seulement dans l'accroissement du chiffre d'affaire mais également dans la gestion de la maîtrise des dépenses (l'optimisation des dépenses et la réducation des coûts sont parfois nécessaires, mais doivent rester contrôlées par un regard médical), ainsi que dans le recouvrement des impayés qui est un vrai problème pour nos laboratoires comme pour l'ensemble des sociétés françaises.

 

            4- Le groupe de biologie doit confier au biologiste une large autonomie dans la gestion de son laboratoire. Il doit fixer un cadre de travail avec des règles de fonctionnement communes. Il doit conserver une fonction de surveillance et de conseil vis à vis du biologiste. Il doit animer un esprit de groupe parmi les différents biologistes en permettant à chacun de bénéficier de l'expérience des autres dans l’intérêt de tous. Nous pouvons en cela (même si cette proposition est volontairement iconoclaste) nous inspirer du code de déontologie européen de la franchise consultable sur le site de la fédération française de la franchise. C'est un modèle économique qui a fait ses preuves dans différents secteurs du commerce ou les gérants jouent un rôle primordial. Ce modèle est « Europe compatible », on ne peu donc pas nous opposer un texte nous interdisant de le faire. Le principe de la franchise est compatible avec un mode de fonctionnement classique, par exemple dans un tout autre domaine (mais toujours en santé) : Afflelou possède des boutique en nom propre et des boutiques franchisées.

 

 

Ces propositions visent à permettre aux biologistes de se constituer un capital issus du fruit de leur travail garantissant leur indépendance, tout en les responsabilisant quand à la gestion du laboratoire qu'ils dirigent. L’accroissement de rentabilité que l'on peut en attendre bénéficiera bien évidemment à l'ensemble du groupe de biologie, cela lui procurera une attractivité évidente, cela lui donnera une compétitivité bien supérieure, cela le déchargera de taches qui peuvent et doivent être gérées localement. Tous ces points devraient constituer de véritables avantages compétitifs vis à vis de groupes financiers qui ont une vision court-termiste de rentabilité maximale immédiate pour leur actionnaires, et qui oublient de respecter leurs patients, leurs biologistes médicaux et leurs collaborateurs : c'est ce que j’appelle une vraie biologie éthique unie sur un rapport gagnant-gagnant contre une biologie financière.

 

Et vous ? Qu'en pensez-vous ?

 

B. Piqueras (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. )

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